Représentées mais pas présentes, les femmes a qui des siècles durant les portes des ateliers et des musées leur ont été tout simplement fermés, s’exposent et s’exportent enfin. Car si certains pouvaient laisser subodorer que les femmes étaient dépourvues de génie, nous voilà depuis maintenant plusieurs décennies rassurés ! Car bien trop longtemps ignorées voire méprisées, ces femmes artistes ont pourtant bel et bien existé. Certes trop peu nombreuses, c’est souvent un contexte historique et socio-économique qui est avancé pour expliquer ou justifier cette non visibilité. C’est assez récemment dans l’Histoire de l’art, que des artistes féminines totalement oubliées ressurgissent. Alors à la question, les grandes artistes féminines ont-elles toujours existé, c’est ce que nous allons voir dans cet article.
Quelles sont les raisons de cette faible présence ?
Berthe Morisot
Comme souligné précédemment, le contexte historique est important pour comprendre, mais non nécessairement pour justifier la faible présence des artistes femmes durant cette période. Cependant, à travers les âges, quelques exceptions persistent. Remontons bien avant l’Antiquité, jusqu’à la préhistoire. Pendant longtemps, la théorie dominante était que l’art pariétal était exclusivement masculin, mais aujourd’hui, certains paléoanthropologues pensent que certaines de ces œuvres ont pu être peintes par des femmes.
Dans l’Antiquité, bien que les femmes soient souvent représentées, leur présence en tant qu’artistes est extrêmement rare, même si elles peuvent occuper des rôles importants dans la société, tels que prêtresses ou reines. Selon les sources historiques, jusqu’à présent, seule une femme est mentionnée, Hélène, la fille de Timon d’Égypte, qui aurait été la première parmi elles, vers l’an 400 avant Jésus-Christ. Il faudra attendre plusieurs siècles avant qu’un autre nom de femme soit mentionné.
Pour cela, transportons-nous au Moyen Âge, plus précisément au XIIIe siècle, avec la maîtresse sculptrice Sabina von Steinbach, fille de l’architecte et maître constructeur Erwin von Steinbach, qui aurait sculpter des statues pour la cathédrale de Strasbourg. Puis, au XVIe et XVIIe siècles, avec la peintre italienne Sofonisba Anguissola et sa consoeur Artemisia Gentileschi. Plus tard, au XVIIIe siècle, Angelica Kauffman, artiste peintre suisse, fille du peintre Johann Joseph Kauffmann. Ensuite, Adélaïde Labille-Guiard, peintre et portraitiste française du XVIIIe siècle et Rosa Bonheur, peintre et sculptrice française du XIXe siècle. Marie Bashkirtseff, peintre et sculptrice russe installée en France, et bien sûr, une autre grande figure du XIXe siècle, Berthe Morisot. Sans oublier Marie Cassatt, peintre américaine, qui, comme Berthe Morisot ou Marie Bracquemond, peintre, céramiste et graveuse française, sont parmi les rares femmes à s’aventurer dans l’impressionnisme.
Toutes ces femmes artistes n’ont pas eu accès, à proprement parler, à des ateliers d’artistes ou plus tard aux écoles des Beaux-Arts. Elles étaient pour certaines filles d’artistes, de riches marchands ou banquiers, amantes et/ou modèles, ou encore amies de grands peintres, sans quoi sûrement elles n’auraient pu accéder à une telle activité. Car elles ne bénéficiaient d’aucun soutien de grands mécènes issus de la Cour, de l’aristocratie ou de l’Église.
Quelle légitimité pour ces femmes artistes ?
Même si encore une fois, selon les époques, les femmes pouvaient avoir des rôles important dans la société, dans d’autres elles n’avaient aucune légitimité. Exclues du suffrage universel, souvent enfermées dans des rôles réducteurs, les femmes artistes n’avaient ni se sentaient à leur place, simplement parce que les instances légitimatrices de ces différentes époques ne les reconnaissaient pas en tant que telles. N’oublions pas, que ce n’est que récemment que les institutions et l’histoire de l’art les citent voire les exposent.
Quels enjeux de la genrification dans l’art ?
Même si leur statut social a joué un rôle dans leur émancipation artistique, il est trop souvent mis en exergue au détriment de la qualité de leurs oeuvres. Pour beaucoup de philosophes et intellectuels tels que Kant entre autres, la femme est peut-être reconnue pour son talent, mais elle est souvent dépeinte comme dépourvue de génie. Apollinaire, quant à lui, aurait parlé de « dons virils ».
Ce discours réducteur est encore perceptible au XXe siècle. Pour Simone de Beauvoir, ce « manque » de génie évoqué par certains hommes s’expliquerait du fait des contraintes sociales et historiques qui ont toujours pesé sur les femmes et les ont empêché de le développer.
D’autres encore attendent d’une femme artiste que ses oeuvres soient féminines et douces.
De même que des artistes épouses d’artistes, ont vu certaines de leurs oeuvres attribués à leur mari, c’est le cas par exemple de Sophie Taeuber-Arp.
Des parcours artistiques hors du commun
Femme accroupie
Bien évidemment, des exceptions existent. Prenons l’une des plus grandes sculptrices françaises, Camille Claudel, qui a étudié sous la direction du sculpteur Alfred Boucher avant d’intégrer l’atelier d’Auguste Rodin. Suzanne Valadon, issue non pas de la bourgeoisie ou de l’aristocratie mais bel et bien de la classe ouvrière, a probablement été modèle pour survivre avant de passer de l’autre côté du chevalet. Chana Orloff, sculptrice d’origine ukrainienne naturalisée française considérée comme l’une des figures majeures du XXe siècle.
Activisme artistique et féminisme
Au cours du XXe siècle, nombreuses sont les artistes dans le monde, qui dénoncent par leurs œuvres, quelles qu’elles soient, le sexisme, la discrimination dans le monde de l’art et sa genrification. Des artistes telles que Louise Bourgeois dans les années 1960 avec ses sculptures de pénis, de vulves, de seins…interpelle le public. A la même époque, Niki de Saint-Phalle avec sa sculpture Hon/Elle fait entrer les spectateurs par le vagin. Une décennie plus tard, Gina Pane, expose ses tampons menstruels. D’autres comme l’inclassable Sophie Calle vont s’inscrire dans cette continuité, à leur manière.
L’art et les femmes
Pour conclure cet article sur un sujet aussi vaste et fascinant que la place de l’artiste « féminine » dans l’histoire de l’art, je souhaite simplement revenir quelques instant à l’essence même de l’art, à son universalité autant qu’à sa singularité. À cette aventure extraordinaire qu’est la création et à sa liberté malgré une visibilité difficile à travers les époques. Il est indéniable que, pour toutes les raisons évoquées dans cet article et bien d’autres, l’art, tout comme la société, a toujours été influencé par des normes genrées, les sachant étroitement liés. Et il est probable qu’il le reste encore un certain temps, si nous ne décidons pas collectivement de changer ses normes.
L’art, sous toutes ses formes, et dans celles à venir, demeure un terreau fertile à façonner à notre guise, en évitant si possible à l’avenir, tous ces clivages. Certaines artistes parlent de sororité, de revendications, d’affiliation ou de filiation, de généalogies féminines auxquelles se raccrocher. Si une telle filiation doit être genrée, elle possède indéniablement moins de références. Alors doit-on forcément sexuer notre lignée ? La question reste ouverte ou encore à être explorée par les artistes, et cela quel que soit leur sexe.