De la Vénus à l’Odalisque : du nu à la nudité

Depuis quelques années déjà, la représentation du nu ou plus précisément de la nudité dans l’Histoire de l’art questionne. Avec de nos jours une lecture plus “féministe” de ces innombrables oeuvres d’art qui déshabillent essentiellement les femmes, une interrogation émerge : pourquoi l’art occidental est-il autant imprégné de corps nus ? Quelle lecture faisons-nous aujourd’hui de cette profusion de nudité ? C’est à cette exploration que nous nous consacrerons dans cet article à travers l’étude de tous ces récits de corps dévêtus de la préhistoire à nos jours.

La représentation du corps nu dans l’Histoire de l’art

Qu’ils s’agissent de sculptures, de tableaux ou plus récemment de photographies présentes dans nos musées, l’anatomie masculine et féminine semble obséder l’esprit des artistes.

Durant la préhistoire jusqu’à l’Antiquité, la Vénus, terme attribué à ces représentations féminines au XIXe siècle, prédomine. Associé souvent à des divinités et à un certain idéal de beauté, le nu est symbole de fertilité, de puissance voire de force et de virilité pour les sculptures masculines de la Grèce antique. La perfection esthétique est poussée à son apogée, avec des corps aux proportions idéales. Le nu est ainsi utilisé pour véhiculer des idéaux esthétiques, philosophiques et sociaux.

Qu’il soit question de corps féminins ou masculins durant cette longue période, ils sont exempts d’érotisation. Ils revêtent même un sens moral. Durant le Moyen-Age, le nu est quant à lui réservé quasi uniquement aux scènes bibliques d’Adam et Eve.

Il faut attendre la Renaissance, autre grande période où la beauté des corps nus est de plus en plus représentée, pour voir réapparaître de nouvelles représentations. Le corps qui était sujet  pendant des millénaires devient au fil des siècles, objet.

L’érotisation du nu évolue vers une représentation plus suggestive à travers des peintures, de plus en plus équivoques. Au fur et à mesure que l’art érotise les corps, on observe l’éveil croissant du désir masculin. Pendant la Renaissance, l’absence de modèles professionnels dans les ateliers était notable. Il faut attendre le XIXe siècle pour les voir apparaître dans les ateliers d’artiste et les académies des beaux arts.

Le XVIIIe et la peinture galante

En France, c’est sous le règne de Louis XV souvent associé au libertinage et à la décadence, que l’érotisation des corps atteint son paroxysme. Appelée peinture galante, une figure emblématique incarne pleinement cette période et cette nudité très en vogue, François Boucher. Considéré comme un peintre des salons privés et autres boudoirs, les femmes nues se dessinent ou se sculptent à l’abri des regards.

Etant donné la proximité constante du clergé, les peintres du classicisme au romantisme cachent dans les détails toute l’érotisation naissante.

Le nu qui jusqu’alors permettait à tout artiste de montrer l’étendu de son talent, ouvre la voie à de nouvelles explorations artistiques.

Plus tard, des peintres tels que Toulouse-Lautrec, Modigliani, Renoir…ainsi que Picasso vont créer ce nouveau genre très apprécié par la bourgeoisie et les collectionneurs.

Odalisque de François Boucher (1740)

Qui sont ces “Vénus” et autres “Odalisques” ?

Ces différentes femmes qu’elles soient anonymes, épouses, maîtresses, prostituées, artistes ou  servantes sont aujourd’hui perçues par certaines historiennes et historiens de l’art davantage comme des faire-valoir d’un désir principalement masculin que comme des muses. Car toutes ne s’inscrivaient pas dans ce modèle amoureux qui relevait d’après certains professionnels de l’art peut-être bien plus du fantasme voire du mythe que d’une réalité.

Encore une fois, le nu interpelle ou plutôt la nudité. Aurait-elle donc été comme le pensent des spécialistes plus un prétexte pour les artistes de coucher sur la toile et pas seulement ces nombreuses femmes ? Ces “Vénus” initialement plus proches de figures féminines non érotisées se sont vues au fil des siècles de plus en plus fantasmées. Parfois également nommées “Odalisque”, en référence à ces femmes présentes dans les harem, elles suscitent aujourd’hui un regard nouveau, plus en phase avec notre époque. Cette réinterprétation plus féministe dénonce un discours souvent mythologisant de la part de ces artistes masculins, qui sous couvert du mythe, ont sexualisé le corps de leurs modèles.

Comment les femmes se réapproprient le nu (ou pas)

Vraisemblablement, les femmes ont toujours dessiné, peint des corps nus, qu’il s’agisse du leur ou de ceux des autres. Souvent bien moins idéalisés, ces corps se redécouvrent et s’exposent enfin.  Le nu, qu’il s’agisse de corps de femmes ou d’hommes exécutés par des artistes féminines, a longtemps dérangé.

Dans les années 1960-70, le corps s’affranchit de tout complexe et assume ses formes les plus diverses. Des artistes telles que Sophie Calle, Louise Bourgeois, Niki de Saint-Phalle… explorent et racontent l’intime, le désacralisent. Certaines, rhabillent même le corps des femmes, le nu et la nudité ne les inspirent plus, au contraire, il les exaspèrent, les ennuient. Le nu ne ferait-il plus recette de nos jours ?

Cette nouvelle approche soulève des interrogations profondes sur le corps féminin dans l’art à travers l’histoire et comment celui-ci a été longtemps perçu par les artistes masculins. Les enjeux sociétaux actuels nous amènent vers un changement de paradigme où le corps nu fait l’objet d’une nouvelle réinterprétation.

Alors, qu’est-ce qui se joue aujourd’hui lorsque nous regardons en tant que spectateur l’une de ces œuvres détachées de son époque et de son contexte ? Comment la comprendre ? Face à ces défis constants d’une société en pleine mutation où obscurantisme, censure et féminisme s’entrechoquent, quel sera demain le regard muséal sur la place des femmes et la nudité de leur corps ?

Elia L.

Tantôt rédactrice, tantôt artiste, je vous invite dans mon univers oscillant entre deux mondes.

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