Apparu sur la scène artistique en Italie dans les années 1960, l’Arte Povera, qui signifie « art pauvre, » est un mouvement d’avant-garde incarnant une défiance vis-à-vis de la société de consommation. Il met l’accent sur la simplicité et l’authenticité des matériaux, tout en explorant les relations entre nature, culture et industrie. Les artistes de ce mouvement privilégient l’usage de matériaux simples, souvent issus d’éléments naturels ou de récupérations, tels que le bois, la terre, les tissus et les objets du quotidien.
Explorons ensemble ce mouvement à l’attitude contestataire, prémisse et avant-goût de ce qui, dix ans plus tard, donnera naissance à la décroissance en politique.
L’émergence de l’Arte Povera
Ce mouvement voit le jour dans un contexte politique, économique et social affaibli suite aux grands bouleversements d’après-guerre, lorsque l’Italie sort ruinée. Le pays prend alors conscience de son retard et voit dans le plan Marshall instauré par les Américains, une chance de se redresser et de s’aligner sur les pays voisins. Cependant, cela se fera au détriment de valeurs essentielles chères aux Italiens, basées sur la famille et la religion. L’ascension sociale et économique se profile mais aura pour certains un goût bien amer.
C’est donc dans ce climat particulier que ce mouvement émerge, mettant l’accent sur une volonté proclamée de sobriété face au modèle américain.
Un retour à l’essentiel
Ne voyez rien de péjoratif dans le terme « pauvre » car il s’agit surtout d’aller à l’essentiel de l’œuvre, à son essence. Il n’est nullement question de s’extasier devant la technique utilisée ou devant des dégradés de couleurs. L’Arte Povera se suffit à lui-même et ne demande aucun matériau transformé.
Comme souligné précédemment, ce mouvement s’inscrit dans un esprit contestataire contre un modèle basé sur l’opulence et la consommation de masse. La simplicité des matériaux cherche à démontrer que l’oeuvre en elle-même n’est pas grand chose, qu’elle fait partie intégrante d’une démarche. Le mouvement fuit tout enfermement et fermeture, que ce soit dans le discours ou dans son appropriation.
L’emploi à l’état brut de ces matériaux montre également qu’ils ne sont pas perçus comme des matériaux artistiques. L’immédiateté de la matière, sans transformation exagérée ni fioriture, met en avant le « geste pauvre », celui qui cherche à se détacher de toute sophistication. L’utilisation de matériaux trouvés dans la nature contribue à maintenir une distance par rapport à toute forme de consumérisme.
La réhabilitation de l’homme et la nature
Bien que certains artistes utilisent des matériaux du quotidien déjà transformés, le recyclage fait également partie de cette démarche axée sur une forme de sobriété « énergétique ». Cette relation dynamique entre l’homme et la nature répond à une réaction contre des mouvements américains tels que le Pop Art, perçu comme faisant l’apologie de la société de consommation. Défiant un système économique, politique et artistique tout entier, les artistes de l’Arte Povera partagent une vision et une approche de l’art commune, tout en poursuivant chacun une recherche qui leur est propre.
Les artistes povéristes
Ils partagent tous cette même idée, à savoir ne pas dénaturer un matériau de son essence par une intervention quelconque, mais plutôt le valoriser par un assemblage ou un montage afin de créer un contraste entre les matériaux et les énergies. Pour ces artistes, l’Arte Povera est avant tout une expérience sensorielle qui leur permet d’explorer de nouvelles perceptions.
Les artistes les plus représentatifs de ce mouvement
Jannis Kounellis
Artiste grec né en 1936 et décédé en 2017, il est connu pour être l’une des figures majeures de l’Arte Povera. Kounellis était célèbre pour son utilisation novatrice de matériaux bruts et non conventionnels, tels que la pierre, le charbon, le métal, et même les animaux vivants, dans ses installations et ses performances.
Giuseppe Penone
Artiste italien né en 1947, est connu pour ses sculptures et installations qui explorent les relations entre l’homme, la nature et le temps. Son travail se caractérise par l’utilisation de matériaux organiques tels que le bois, la pierre et le bronze, mettant en lumière la force et la fragilité de la nature à travers des formes sculpturales évocatrices.
Giovanni Anselmo
Né en 1934 en Italie, il est célèbre pour ses œuvres minimalistes et conceptuelles qui interrogent les notions d’équilibre, de temporalité et de perception. Utilisant des matériaux simples tels que la pierre, le fer et parfois même des végétaux vivants, Anselmo crée des installations qui invitent le spectateur à réfléchir sur la relation entre l’homme et son environnement, tout en explorant les limites de la matérialité et de l’espace.
Luciano Fabro
Artiste italien né en 1936 et décédé en 2007, il était une figure centrale de l’Arte Povera. Connu pour ses sculptures et ses installations qui défient les conventions de l’art traditionnel, Fabro utilisait souvent des matériaux modestes tels que le verre, le marbre et le métal pour explorer les thèmes de la perception, de la temporalité et de la matérialité. Son travail était profondément influencé par son intérêt pour la philosophie et la poésie. Il cherchait à créer des œuvres qui remettaient en question les limites de la réalité et de la représentation artistique.
Giulio Paolini
Né en 1940 en Italie, il est reconnu pour ses œuvres conceptuelles qui explorent les notions de l’originalité, de l’auteur et de la perception de l’art. À travers ses installations, ses peintures et ses sculptures, Paolini interroge les processus de création artistique et les relations entre l’œuvre, le spectateur et le contexte dans lequel elle est présentée. Son travail est caractérisé par une esthétique minimaliste et réfléchie, souvent empreinte de références à l’histoire de l’art et à la philosophie.
Pier Paolo Calzolari
artiste italien né en 1943, est connu pour ses installations poétiques et évocatrices qui utilisent des matériaux tels que la glace, le feu, le plomb et le coton pour explorer les concepts de transformation, de temps et de nature. Son travail transcende les frontières entre l’art et la science, et il est souvent associé au mouvement de l’Arte Povera en raison de son utilisation de matériaux simples et de sa volonté de créer des expériences sensorielles immersives pour le spectateur.
Etc.
Un geste plastique radical et novateur
Contestataires, ils incarnent une forme de résistance face à un art contemporain américain qui semble tout absorber sur son passage. En accord avec leur environnement, avec le sensible et le visible, ces artistes abolissent les frontières entre la vie et l’art, fusionnant les deux dans une expérience artistique immersive.
Ainsi, les artistes povéristes jouent avec les matériaux primaires en leur apportant une dimension poétique mettant en valeur leur matérialité pour ce qu’ils sont, plutôt que pour ce qu’ils représentent.