Peu d’artistes ont su, comme Toyen, transcender les frontières de leur époque tout en inventant un langage visuel profondément singulier. Considérée aujourd’hui comme une figure majeure de l’avant-garde tchèque, Toyen a cofondé avec Jindřich Štyrský un mouvement fascinant et pourtant méconnu : l’artificialisme. Ce courant, à mi-chemin entre poésie et peinture, invite à une plongée dans l’imaginaire, brouillant les frontières entre abstraction et surréalisme. Mais qui était Toyen, et comment l’artificialisme a-t-il marqué l’histoire de l’art ? Découvrons ensemble l’univers envoûtant de cette artiste à part.
Toyen, une figure mystérieuse de l’avant-garde tchèque
Née Marie Čermínová à Prague en 1902, Toyen a adopté en 1923 un pseudonyme neutre, reflétant pour certains son rejet des conventions de genre et pour d’autres sa passion pour la révolution française et son admiration pour les citoyens révolutionnaires. Quoi qu’il en soit, ce choix s’inscrivait dans une quête de liberté artistique et personnelle.
Toyen s’associe au groupe Devětsil, épicentre de l’avant-garde pragoise, avant de partir pour Paris en 1925 avec son complice artistique qu’elle considère comme son âme-soeur, Jindřich Štyrský. Dans la capitale française, Toyen développe un style à la croisée des influences cubistes, dadaïstes et surréalistes. Mais c’est en 1926 que son véritable tournant artistique a lieu : avec Štyrský, elle crée l’artificialisme, un mouvement visant à dépasser les limites de la représentation figurative.
L’artificialisme, un pont entre poésie et peinture
Les origines de l’artificialisme
L’artificialisme naît d’une volonté de libérer l’art des contraintes narratives et optiques. Toyen et Štyrský cherchent à créer une symbiose entre peinture et poésie, où les formes et les couleurs deviennent des émotions pures, à l’image des vers d’un poème où la sensibilité n’est donc pas uniquement visuelle. Ils ne s’inscrivent pas dans la déconstruction cubiste ni dans le symbolisme explicite, préférant une approche plus intuitive avec une attention particulière pour la matière.
Pour Toyen, la poésie n’est pas abordée pour sa beauté ou sa corrélation artistique, c’est tout simplement une manière de vivre.
Les caractéristiques de l’artificialisme
Les œuvres de l’artificialisme se distinguent par leur matérialité et leur onirisme. Les textures évoquent des paysages imaginaires, des éléments géologiques ou des rêveries cosmiques. Toyen, en particulier, explore des formes fluides et des compositions où la lumière et la couleur se répondent dans un dialogue silencieux. Ce mouvement préfigure des tendances comme l’abstraction lyrique, tout en restant ancré dans une recherche poétique.
Un lien naturel avec le surréalisme
L’arrivée au sein du surréalisme
Dans les années 1930, Toyen s’associe au groupe surréaliste de Prague, puis à celui d’André Breton à Paris. Le surréalisme partageait avec l’artificialisme une quête de libération de l’esprit et une exploration des mondes intérieurs.
Elle se lie d’amitié avec André Breton et des poètes du mouvement comme Paul Eluard.
Cependant, Toyen conserve toujours une approche unique, marquée par une sensibilité tactile et une profonde ambiguïté.
L’artificialisme, un héritage oublié ?
Bien que l’artificialisme ait eu une existence brève, il reste une étape cruciale dans le parcours de Toyen. Ce mouvement a permis de redéfinir le rôle de la peinture, non plus comme une représentation, mais comme une expérience immersive. Aujourd’hui, il est souvent éclipsé par les contributions ultérieures de Toyen au surréalisme, mais il mérite une reconnaissance renouvelée.
La place de Toyen dans l’histoire de l’art moderne
Toyen est une artiste qui défie les classifications. De son artificialisme innovant à son engagement surréaliste, elle a su construire une œuvre cohérente et révolutionnaire. Sa vie même, marquée par son refus des normes sociales et sa quête d’indépendance, inspire encore aujourd’hui.
En 2021, une rétrospective majeure au Musée d’Art Moderne de Paris a mis en lumière l’ampleur de son travail, redonnant au public une clé d’accès à son univers complexe. Pourtant, l’artificialisme reste un chapitre moins connu de son parcours, un trésor caché pour les amateurs d’art en quête de découvertes.
Annie Le Brun commissaire de l’exposition au Musée d’Art Moderne de Paris
Il y a quelques années, sous le commissariat d’Annie Le Brun aujourd’hui disparue, le MAM proposait une exposition très exhaustive de cette artiste visionnaire. Avec plus de 150 œuvres, Annie Le Brun qui a longuement côtoyé l’artiste, a su montrer l’univers incandescent, révolté, vertigineux et hors norme de Toyen. Quelle autre grande figure du surréalisme comme Annie Lebrun pour dévoiler au monde, une artiste aussi fascinante, magnétique, insaisissable et secrète ?
Redécouvrir Toyen et l’artificialisme
Toyen fait incontestablement partie de ces artistes qui, en restant fidèles à eux-mêmes, ont bouleversé les codes. Avec son artificialisme, elle nous invite à une réflexion sur la puissance de l’imaginaire et la porosité des frontières entre les disciplines. Ce mouvement, bien que marginalisé dans l’histoire de l’art, constitue une étape audacieuse et visionnaire. Redécouvrir l’artificialisme, et par conséquent ses protagonistes, c’est redonner vie à une époque où la peinture, la poésie et l’onirisme s’entremêlaient pour offrir une expérience unique. Que ce soit à travers ses œuvres ou ses idéaux, Toyen continue d’ouvrir les portes d’un univers où l’art ne connaît aucune limite.