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Pierre Soulages Outrenoir

Quand les couleurs révèlent les mystères de l’âme humaine

Depuis la nuit des temps, les couleurs ont été les messagers silencieux de l’âme humaine.
Les nuances qui parsèment notre quotidien sont autant de symboles que d’émotions brutes, marquant notre psyché d’empreintes profondes. Qu’il s’agisse du rouge, ardent et passionné, du bleu, mystique et céleste, du jaune, solaire et perfide, du vert, à la fois nature et mystère, du blanc, pur et intègre ou encoure du noir, mystérieux et solennel, les couleurs racontent une histoire universelle et intime. Leur pouvoir transcende la simple matière, se mêlant aux croyances et aux récits des civilisations, tantôt protectrices, tantôt destructrices.

Dans cet article, nous nous attarderons sur l’histoire et la signification des couleurs emblématiques. Chacune d’elles a sculpté des pans entiers de nos cultures, élevant des dieux, influençant les arts, et révélant les ambivalences de l’âme humaine.

Le rouge, la couleur de la passion et du pouvoir

Le rouge, vibrant et incandescent, s’impose dès l’aube de l’humanité comme une pulsation de vie et de mort. Il traverse les âges, symbole à la fois du souffle vital et de la violence qui étreint les êtres. Le rouge ne laisse personne indifférent : il éclabousse, ensorcelle, et convoque des émotions brutes, irrépressibles.
Qu’il s’agisse des fresques antiques ou des coups de pinceaux fougueux des grands maîtres, le rouge invite l’âme à un brasier de sensations, un duel entre l’éros et le thanatos.

Le rouge dans la préhistoire

Les pigments rouges ont rapidement été maîtrisés dès le paléolithique. Quant au néolithique pour la fabrication de cette couleur, on utilisait notamment la garance, l’oxyde de fer et le sulfure de mercure.

Le rouge dans l’Antiquité

Dans les premières civilisations, le rouge était porteur de récits cosmogoniques et rituels. Il apparaissait, indomptable, dans les pigments d’ocre, modelant les mythes à travers le feu et le sang.

Utilisé pour dépeindre les dieux solaires en Égypte, il évoquait déjà ce lien primordial entre la vie, l’énergie inextinguible et la destruction purificatrice. Il est intéressant de noter combien cette couleur devint à la fois le bouclier et l’épée des récits antiques, omniprésent dans l’imagerie du pouvoir martial à Rome, où Mars, le dieu de la guerre, en était l’incarnation suprême.

Le rouge au Moyen Âge et à la Renaissance

Avec la montée du pouvoir religieux, le rouge se drapa d’une solennité mystique. Il ceignit les corps des cardinaux, parement du divin, alors qu’il devint symbole de sacrifice et de sainteté. À cette époque, et jusqu’au XIXe siècle, les mariées ne portaient pas de blanc, mais du rouge. À la Renaissance, l’éclat carmin des toiles de Titien, qu’on pourrait presque sentir brûler sous les doigts, fut une révolution de profondeur et de sensualité. Le rouge, jusqu’alors hiératique, devenait chair dans les mains des artistes, modelé avec une audace nouvelle, rappelant que l’homme, entre le ciel et l’enfer, est prisonnier de ses passions.

Le bleu, la couleur de la sérénité et du divin

Le bleu porte en lui une douceur qui apaise, une promesse d’infini, de quiétude, comme si chaque nuance de cobalt ou d’outremer contenait un fragment du ciel lui-même. Pourtant, cette couleur qui, aujourd’hui, semble si naturelle, a longtemps été absente de l’imaginaire occidental. Il fallait des artistes pour l’apprivoiser, le cristalliser en symbole de l’immatérialité, de la foi, et du mystère.

Le bleu dans l’Égypte antique

la tombe du prince khaemouaset
@Jean-Pierre Dalbéra
La tombe du Prince Khaemouaset

Les Égyptiens furent parmi les premiers à comprendre la profondeur métaphysique du bleu. La rareté et la difficulté de sa fabrication en faisaient un trésor réservé aux représentations du divin. Le bleu égyptien, ce pigment composé entre autres de cuivre et de calcium, s’étendait dans les fresques funéraires, enveloppant les dieux de la royauté céleste. Il est fascinant de voir à quel point cette couleur, au-delà de sa beauté, incarnait une porte vers l’au-delà, un lien entre le visible et l’invisible.

Le bleu dans l’iconographie chrétienne

Ce n’est qu’au Moyen Âge que le bleu s’imposa en Occident, paré d’une aura mariale. Il devint la couleur de la Vierge, la protectrice, la douce médiatrice entre le ciel et la terre. Les artistes, tels que Giotto, découvrirent la capacité du bleu à modeler l’espace et à créer une atmosphère de silence et d’introspection. À la Renaissance, le lapis-lazuli, pur et profond, est une bénédiction pour les peintres. Ce bleu divin, quasi immatériel, semble avoir été fait pour suspendre le temps dans les toiles, pour capturer un instant d’éternité. Sans oublier la découverte accidentelle du bleu de Prusse en Allemagne, précieux et intense, mais décrié par certains artistes tels que Degas, et adulé par d’autres comme Hokusai, qui délaisse l’indigo, ou Picasso durant sa période bleue.

Le jaune, couleur de la lumière et de la trahison

L’ambivalence du jaune a de quoi fasciner. Enveloppé dans la lumière éclatante du jour, il irradie de vie, mais cache aussi, dans les replis de son éclat, la promesse d’une chute, d’une trahison. Ce contraste entre la pureté solaire et la perfidie historique en fait une couleur paradoxale.

Le jaune dans les civilisations anciennes

Pour les anciens, le jaune était d’abord le reflet de l’or, de l’immortalité. En Chine, cette teinte était réservée à l’empereur, incarnation vivante du divin. Cependant, en Occident, le jaune n’a pas toujours été si glorieux. Dans la Grèce et la Rome antiques, il symbolisait parfois l’inconstance, l’excès solaire et les dérèglements de l’âme.

Le jaune dans l’art médiéval

Au Moyen Âge, le jaune prit une tournure tragique. Judas, le traître par excellence, fut souvent vêtu de jaune dans les fresques religieuses, déformant ainsi son symbolisme en signe de tromperie.

Cependant, des siècles plus tard, des artistes comme Van Gogh redonnèrent à cette couleur sa place dans le spectre de la vie. Son jaune incandescent est à la fois espoir et folie, un cri lancé vers le ciel, brûlant de l’intérieur. Le jaune, dans ses tournesols ou ses champs de blé, est à l’image de l’artiste : solaire, mais au bord de la dissolution.

van gogh
Les tournesols de Vincent Van Gogh 1888

Le vert, couleur de la nature et de l’ambivalence

Dans sa relation à la nature, le vert incarne la vie, le renouveau et l’équilibre fragile des cycles. Mais il serait trop simple de s’arrêter à cette vision pacifiée. Le vert est une couleur de l’entre-deux, un symbole d’ambivalence, de la rencontre des forces opposées.

Le vert dans les civilisations islamiques

Dans le monde islamique, le vert est synonyme de paradis, une teinte sacrée liée à la vie après la mort. La figure du prophète Mahomet, qui aurait porté cette couleur, en fait un symbole de protection et de paix. Le vert y respire une spiritualité tranquille, une invitation à la méditation.

Le vert et les superstitions en Europe

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La Nef des fous de
Jérôme Bosch vers 1500

En revanche, en Europe, le vert ne s’est jamais départi d’une aura de danger. Les pigments verts, instables et volatils, rappelaient l’impermanence des choses terrestres. Le vert était la couleur des fées, des esprits de la nature sauvage. On le redoutait autant qu’on l’admirait. La beauté des forêts profondes cachait des mystères que l’homme ne pouvait saisir.

Le blanc, couleur de la pureté et de la spiritualité

Le blanc est une couleur intemporelle qui a toujours fasciné par sa capacité à évoquer des notions aussi profondes que la pureté, la lumière, et la sérénité. Qu’il soit utilisé dans des contextes spirituels, religieux ou même esthétiques, il a su traverser les âges en préservant une signification forte et universelle.

Le blanc dans la préhistoire

Depuis les temps préhistoriques, la couleur blanche, issue de la craie, était utilisée sèche ou humide, comme en témoignent les peintures de l’art pariétal, notamment celles de la grotte Chauvet.

Le blanc dans l’Antiquité

Dans les civilisations anciennes, le blanc n’était pas seulement une couleur, mais un véritable vecteur de symbolisme spirituel. Chez les Égyptiens, le blanc incarnait la pureté divine, une teinte réservée aux prêtres et aux pharaons, les intermédiaires entre les hommes et les dieux. Les drapés blancs, souvent observés sur les fresques et les sarcophages, étaient autant de marqueurs de sacré et de lumière.

Chez les Grecs et les Romains, cette même symbolique s’est prolongée. La toge blanche des citoyens romains, notamment celle des magistrats, était un signe de dignité et de moralité. Le blanc, dans ces sociétés, transcendait les simples valeurs esthétiques pour devenir le reflet d’une pureté intérieure, d’une sagesse et d’une intégrité morale.

Le blanc dans la religion et la symbolique chrétienne

Dans la tradition chrétienne, le blanc occupe une place primordiale, surtout dans les cérémonies liturgiques. Il est la couleur de la lumière divine, de la résurrection et de la pureté de l’âme. Le Christ ressuscité est souvent représenté vêtu de blanc, soulignant ainsi la victoire de la vie sur la mort.

Les vêtements liturgiques blancs sont portés durant les moments les plus sacrés, comme le baptême et les célébrations de Pâques. La colombe blanche, figure centrale de l’iconographie chrétienne, symbolise l’Esprit Saint et la paix divine. Cette couleur, au-delà des rituels religieux, incarne un idéal de clarté, de paix intérieure et de connexion au divin.

Le blanc et la mode

En dehors de sa dimension spirituelle, le blanc a aussi su s’imposer dans l’univers de la mode. Depuis le XIXe siècle, la robe de mariée blanche est devenue un symbole universel de pureté et d’innocence. Ce choix de couleur, popularisé par la reine Victoria lors de son mariage en 1840, continue aujourd’hui à définir l’élégance nuptiale à travers le monde.

Le blanc, dans la mode contemporaine, évoque également la simplicité et la modernité. Que ce soit dans le minimalisme du design architectural ou les vêtements épurés des podiums, il incarne une esthétique intemporelle. Le blanc a cette capacité unique de sublimer les formes tout en capturant la lumière, créant ainsi une aura d’élégance discrète.

Le noir, couleur du mystère et de la solennité

Le noir, avec son aura de mystère, a toujours fasciné et intrigué. Il évoque à la fois la profondeur des ténèbres et la sophistication des événements solennels. Son histoire est marquée par des paradoxes, alternant entre le deuil et l’élégance, la peur et le pouvoir.

Le noir dans la préhistoire

Dans la préhistoire, le noir, issu principalement du charbon de bois et du manganèse, était utilisé pour dessiner des formes animales et humaines sur les parois des grottes. Symbole d’ombre et de profondeur, il marquait déjà un lien mystique avec l’inconnu et le sacré.

Le noir dans l’Antiquité

Dans les civilisations anciennes, le noir était souvent perçu comme une couleur ambivalente. En Égypte, bien que cette teinte représentât les sols fertiles du Nil après les crues, elle était aussi associée à la mort et au monde des ténèbres. Osiris, le dieu de l’au-delà, portait le noir comme un symbole de la régénération, mais aussi du cycle de la vie et de la mort.

Les Grecs et les Romains partageaient cette vision ambivalente du noir. Chez les Grecs, Hadès, le dieu des Enfers, régnait sur un royaume d’ombres, où le noir symbolisait le deuil, l’inconnu et les mystères de l’au-delà. Dans ces civilisations, le noir marquait la fin d’une vie terrestre, tout en ouvrant la porte à une existence mystique au-delà de l’horizon visible.

Le noir dans la religion et la culture chrétienne

Le noir a également joué un rôle clé dans l’évolution de la symbolique chrétienne. Au Moyen Âge, il était perçu comme la couleur du péché et de la pénitence. Les moines bénédictins portaient des robes noires en signe d’humilité, de détachement des plaisirs matériels, et de dévotion spirituelle.

C’est au fil des siècles que le noir s’est imposé comme la couleur du deuil dans de nombreuses cultures occidentales. Associé à la solennité, il exprime une profonde réflexion face à la mort, tout en marquant le respect dû à ceux qui sont partis. Le noir, en tant que teinte de renoncement, est ainsi devenu un pont entre le monde des vivants et celui des défunts.

Le noir dans la société moderne

L’histoire du noir a pris un tournant décisif au XXe siècle, lorsqu’il a été réinterprété comme un symbole d’élégance et de sophistication. La petite robe noire, créée par Coco Chanel dans les années 1920, est devenue un emblème de la mode. À la fois sobre et intemporelle, elle illustre la capacité du noir à transcender les tendances tout en incarnant une sophistication discrète.

Un artiste a su transcender le noir, Soulages, en transformant le noir en lumière, explorant l’« outrenoir » pour révéler une profondeur vibrante, où chaque reflet devient une nouvelle matière de contemplation.

Aujourd’hui, le noir est la couleur des grandes occasions. Qu’il s’agisse de soirées de gala, d’uniformes professionnels ou de tenues de pouvoir, il impose une autorité naturelle et une élégance indéniable. Sobriété, raffinement, et intemporalité sont les maîtres mots de cette teinte, qui demeure un pilier de la mode contemporaine.

Les couleurs : un voyage dans les profondeurs de la conscience humaine

Les couleurs sont autant de langages que l’humanité a su développer à travers ses époques et ses cultures. Ces couleurs ne sont pas de simples teintes sur une palette : ils sont le miroir de nos croyances, de nos désirs, de nos peurs. En scrutant leur histoire, on plonge dans les méandres de l’âme humaine, où chaque couleur vibre d’une résonance profonde, toujours prête à nous rappeler que, comme l’art, elles sont le reflet de l’invisible et de l’éphémère.

Elia L.

Tantôt rédactrice, tantôt artiste, je vous invite dans mon univers oscillant entre deux mondes.

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