Elle fait partie de ces artistes spoliés, non pas par un agent crapuleux mais par un mari manipulateur et avide qui a découvert, et c’est sûrement son seul talent, l’artiste incroyable qu’était cette femme dont il s’est, des années durant, attribué le travail. L’histoire de Margaret Keane est tristement banale à une époque où les femmes et encore moins les artistes féminines n’étaient pas considérées, à de rares exceptions près. Décédée en 2022 à l’âge de 94 ans, Margaret Keane, dont la vie a inspiré le film biographique de Tim Burton “Big Eyes” sorti en 2014, retrace l’existence et le mensonge dans lequel cette artiste s’est retrouvée malgré elle prisonnière.
Découvrez une artiste talentueuse qui a dû se battre pour être enfin reconnue.
La plus grande imposture connue de l’Histoire de l’art
Nous savons aujourd’hui que certaines toiles au sein de couples d’artistes peintres, comme le couple Taeuber-Arp, pouvaient être, à une certaine époque, attribuées au mari. Mais dans le cas de Margaret Keane, il ne s’agit pas d’une erreur d’attribution, mais bel et bien d’une machination et d’une emprise monstrueuse d’un époux sur sa femme.
Née en 1927 dans le Tennessee, Margaret Keane, de son vrai prénom Peggy Doris et de son nom de jeune fille Hawkins, a grandi dans un État où beaucoup de personnes se sont retrouvées ruinées après la grande dépression. Dès son plus jeune âge, elle dessine des personnages aux grands yeux tristes. Après avoir fréquenté une école d’art dans sa ville natale, elle part étudier à New York, puis elle fait la connaissance, lors d’une foire d’art à San Francisco, de Walter Keane, un beau parleur se faisant passer pour un artiste peintre, qui deviendra quelques années plus tard son mari.
Rapidement, le piège fomenté par son mari se referme sur Margaret. Elle se rend compte de la supercherie de son mari, qui se fait passer pour l’auteur de ses toiles. Elle se rebelle, mais, lui faisant peur, elle cède au mensonge. Très vite, ses toiles se vendent dans différents lieux et le couple vit dans le luxe. Lors d’interviews, Walter raconte comment les grands yeux de ses personnages lui ont été inspirés par des enfants affamés dans un Berlin ravagé par la guerre. Margaret, quant à elle, regarde impuissante son mari spolier sans vergogne son art.
Maltraitée et forcée à peindre 16 heures par jour, sans aucune considération de la part de son mari, Margaret trouve la force de partir avec leur fille. Elle se remarie avec un écrivain et lance un défi à son ex-époux, peindre tous les deux devant les médias. Ce dernier, qui maintient un mensonge éhonté, trouve des excuses pour ne pas y participer. Puis, excédée, elle porte plainte et peint dans le tribunal en seulement 53 minutes une toile représentant l’un de ses personnages. L’imposteur, qui une fois de plus s’est défilé, perd toute crédibilité aux yeux du monde.
Une histoire de femme
Malheureusement, l’histoire de Margaret Keane est assez banale pour l’époque. Peu considérée par la société, les femmes sont reléguées à des taches ménagères, d’épouses attentionnées mais rarement d’artistes reconnues. Il est rare de trouver des femmes telles que Georgia O’Keeffe capable de vivre de leur art.
Timide et pas forcément orientée vers le commerce, Margaret subit les contraintes d’un mari et d’une société patriarcale conçue pour les hommes. En outre, bien que son travail connaisse un succès populaire, le monde de l’art le déprécie. Cependant, une voix se fait entendre, celle d’Andy Warhol, qui voit au-delà et reconnaît son style unique.
Une artiste précurseur
Aujourd’hui, Margaret Keane est considérée comme une pionnière des mouvements pop surréalisme et du lowbrow art, émergents à Los Angeles dans les années 1970.
Lorsqu’on lui demande quelles sont ses influences artistiques, l’artiste cite immédiatement Modigliani. Cependant, sa plus grande source d’inspiration est bien sûr les femmes.
L’héritage incommensurable de Margaret Keane
Au-delà de ses nombreuses œuvres visibles à travers le monde, Margaret Keane incarne la femme qui a surmonté ses peurs et osé affronter celui qui l’a trompée, humiliée et spoliée. Son histoire est celle d’une femme qui a su reconquérir son identité artistique et l’affirmer devant le monde entier. Quel plus bel héritage que celui-ci.