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Richard Serra, Equal-Parallel : Guernica-Bengasi @ knorby

Le scandale de la sculpture disparue : le mystère autour de Richard Serra et du museo Reina Sofía

Vous rappelez-vous de cette histoire de vol totalement rocambolesque qui s’est déroulée dans un musée espagnol, non pas d’un tableau dérobé et glissé sous un manteau, mais d’une sculpture de plusieurs tonnes ?

Remontons 19 ans en arrière en 2005, l’œuvre du sculpteur Richard Serra (1938-2024) pesant 38 tonnes a disparu d’un hangar sans laisser de trace. Ce monument d’art contemporain, acquis par le Museo Reina Sofía de Madrid, semblait indéplaçable, et pourtant, il s’est volatilisé. Cette affaire invraisemblable a inspiré l’écrivain espagnol Juan Tallón à en faire un roman, mêlant fascination et absurdité. Plongeons ensemble dans cette intrigue captivante.

Une œuvre colossale : 38 tonnes d’art disparues

En 1986, le musée Reina Sofía fait l’acquisition d’une œuvre monumentale : « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi ». Composée de quatre blocs d’acier Corten pesant ensemble 38 tonnes, cette sculpture de Richard Serra symbolise la tragédie répétitive de l’Histoire, en écho aux bombardements de Guernica et de Benghazi.

Conçue pour défier le temps et la gravité, l’œuvre repose sur l’idée d’éternité. Mais ce symbole d’immuabilité allait défier l’Histoire de la manière la plus improbable.

Arganda del Rey : un entrepôt devenu scène de crime

Remontons cette fois jusqu’en 1987 où le musée Reina Sofía acquiert cette sculpture pour plus de 215 000 euros. Tout d’abord entreposée avant d’être montrée au public en 1990, l’œuvre est ensuite envoyée en stockage à Arganda del Rey, près de Madrid.

Totalement oubliée durant des années, 15 ans plus tard c’est-à-dire en 2005, lors d’un inventaire, ce dernier révèle l’impensable : l’œuvre a disparu. À partir de là, commence une enquête où chaque détail semble sortir d’un roman policier.

Un an après, la presse découvre cette histoire et s’empare de ce sujet à sensation. Les questions abondent car comment un tel colosse a-t-il pu être déplacé sans éveiller de soupçons ? Qui pourrait s’intéresser à une œuvre aussi identifiable ? Et surtout comment un musée de cette notoriété a pu oublier une œuvre de cette importance et faire preuve d’autant de négligence ?!

Des rumeurs et autres hypothèses animent les conversations comme celle d’un prétendu millionnaire qui aurait caché cette œuvre dans un coffre-fort en Suisse. Une autre plus plausible suggère que l’acier aurait été vendu comme matériau de récupération. Cependant, rien n’a jamais été confirmé.

Car même si le musée a fait preuve d’incurie, il paraît inconcevable que quiconque ait pu confondre une œuvre d’art avec de la ferraille !!

Une enquête pleine de zones d’ombre : l’évanouissement d’un chef-d’œuvre

Les premiers indices laissent penser à une négligence administrative. Les registres sont incomplets et le suivi des transferts approximatif.

L’absence de caméra de surveillance dans l’entrepôt complique la tâche des enquêteurs. Les pistes s’épuisent rapidement, et le mystère prend de l’ampleur. L’idée que l’œuvre ait pu être volée pour un collectionneur privé fascine autant qu’elle trouble. Dans un monde où les œuvres d’art se monnayent à prix d’or, cette hypothèse est une piste.

musée madrid
Le musée Reina Sofía de Madrid

La société en charge de l’entrepôt fait faillite : du hangar au néant

La société Macarrón réputée dans le domaine, malgré son historique prestigieux, a fait faillite en 1998. L’ex-dirigeant de l’entreprise, lors de son entrevue, a déclaré avoir averti le musée que le hangar n’était plus sous surveillance. Preuves à l’appui, il s’agirait donc bel et bien d’un manquement et d’une négligence importante de la part du musée.

L’affaire devient légendaire : une œuvre perdue, un mythe né

Cette disparition inspire autant qu’elle interroge. Juan Tallón, écrivain espagnol, publie en 2022 « Chef-d’œuvre », une œuvre littéraire entre réalité et fiction où soixante-dix monologues imaginent les possibles chemins de cette sculpture disparue. L’auteur mêle humour, critique du monde de l’art et fascination pour l’absurde.

Tallón montre que l’art peut transcender sa forme matérielle. Ici, l’absence devient le sujet, et l’œuvre absente continue d’exister par le récit qu’elle génère.

Une réplique pour apaiser le vide

Face à l’insistance du musée et de Richard Serra lui-même, une réplique exacte de « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi » est réalisée en 2008. L’artiste, bien que frustré par la perte de l’original, s’engage à ce que l’œuvre continue de vivre. Depuis, cette réplique trône au Reina Sofía, mais l’ombre du mystère plane toujours.

Ce que révèle l’affaire de la sculpture de Richard Serra

Cette disparition, digne d’un roman noir, soulève des questions sur la gestion des trésors culturels dans une Espagne post-franquiste. Comment une institution prestigieuse peut-elle perdre une œuvre aussi massive ? Au-delà des dysfonctionnements, ce cas met en lumière l’aspect fragile et humain des musées.

Dans un monde où l’art est souvent perçu comme éternel, la perte d’une œuvre majeure nous ramène à la réalité : même l’inamovible peut s’évanouir.

Une œuvre entre disparition et immortalité

Près de vingt ans après, la disparition de « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi » reste irrésolue. Cette affaire a transformé une sculpture imposante en un mythe. Son absence interroge, inspire et continue de captiver.

L’œuvre de Richard Serra, qu’elle soit présente ou absente, défie les conventions. Elle incarne désormais le paradoxe de l’art contemporain : un dialogue entre matérialité et invisibilité, où chaque disparition devient une nouvelle forme de présence.

Elia L.

Tantôt rédactrice, tantôt artiste, je vous invite dans mon univers oscillant entre deux mondes.

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