À l’heure où les poètes romantiques livraient leurs âmes en prose et vers, un vent nouveau souffla sur la scène littéraire du XIXe siècle : celui du mouvement parnassien. Refusant les effusions sentimentales, les émotions désordonnées et les engagements politiques ou sociaux, les parnassiens choisirent un autre chemin, celui d’un art pur et ciselé. Le Parnasse, mouvement singulier, porta la poésie au rang d’une sculpture où chaque mot, tel un marbre travaillé, devait être parfait. Explorons ensemble cet univers où la beauté règne en maître et où l’art se suffit à lui-même.
Une réaction à l’excès du romantisme
Au milieu du XIXe siècle, les romantiques avaient laissé leur empreinte : Victor Hugo, Alfred de Musset, Gérard de Nerval, George Sand ou Alphonse de Lamartine inondaient la littérature d’émotions et de confessions personnelles. Mais pour certains esprits, cette poésie semblait s’embourber dans l’égotisme. C’est dans ce contexte que naquit le mouvement parnassien, prônant une rupture nette avec l’héritage romantique.
Le rejet du lyrisme personnel
Ce rejet est au cœur du mouvement parnassien. Lassés des épanchements émotionnels et de l’exaltation du « moi » propres au romantisme, les parnassiens prônent une poésie impersonnelle, détachée des sentiments individuels. Pour eux, l’art doit transcender les passions humaines et viser une beauté universelle, pure et éternelle.
Un idéal de perfection
Pour les parnassiens, l’art devait se libérer des affects humains. Théophile Gautier, auteur représentatif du mouvement parnassien, affirmait dans son manifeste :
Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien.
Ce mot d’ordre résumait leur philosophie : la poésie ne devait pas enseigner, ni émouvoir, mais simplement offrir une beauté intemporelle.
L’art pour l’art
Le slogan de Théophile Gautier fait mouche, devenant le fer de lance de ce nouveau mouvement littéraire parnassien. L’art n’a plus à être vertueux ou utile mais simplement être pur, sans fioriture. Il demande une approche minutieuse et un travail de corps à corps. Il s’agit ici de ciseler et de sculpter la matière poétique.
Photographie Nadar 1855
Une origine mythologique : le Parnasse contemporain
Vous vous demandez sûrement : « Que veut dire parnassien ? » Le terme « Parnasse » puise ses origines dans la mythologie grecque. Le mont Parnasse, demeure des Muses et d’Apollon, symbolisait l’inspiration poétique et artistique. En choisissant ce nom, les poètes parnassiens se plaçaient sous l’égide de cette tradition antique, célébrant un art noble et universel, détaché des préoccupations humaines ordinaires.
Une anthologie fondatrice
En 1866, la publication de « Le Parnasse contemporain » marqua le début officiel du mouvement. Il rassemble des poètes tels que Leconte de Lisle, Théophile Gautier, et José-Maria de Heredia. Cette anthologie proposait une vision nouvelle de la poésie. Chaque texte, rigoureusement travaillé, visait à capter une harmonie parfaite.
Quels sont les grands thèmes parnassiens ?
Comme l’origine de son nom le sous-entend, les parnassiens puisèrent leur inspiration dans la mythologie, l’histoire antique, et les paysages exotiques. Leconte de Lisle, chef de file du mouvement parnassien, évoqua les civilisations oubliées dans ses « Poèmes antiques » et « Poèmes barbares ». Ces œuvres transportent le lecteur dans des mondes éloignés, loin des préoccupations du quotidien.
Une esthétique ciselée comme du marbre
La maîtrise de la forme est au cœur même de ce mouvement. Le mouvement parnassien impose une discipline rigoureuse. Les poètes travaillent leurs vers comme des sculpteurs taillent leur pierre. La métrique, les rimes, et le choix des mots sont minutieusement équilibrés pour produire une harmonie sonore et visuelle.
Une froideur assumée
Les critiques ont souvent reproché au Parnasse une certaine froideur. Mais sachez que pour ses adeptes, cette distance émotionnelle était essentielle. Ils cherchaient à sublimer le réel en créant des œuvres parfaites, capables de traverser les âges. Cette exigence confère à leurs poèmes une dimension intemporelle.
Quelles sont les figures majeures du Parnasse ?
Voici quelques-uns des auteurs représentatifs du mouvement parnassien qui ont marqué l’histoire de la littérature :
- Théophile Gautier : précurseur du mouvement avec « Émaux et Camées ».
- Leconte de Lisle : auteur du mouvement parnassien, célèbre pour ses « Poèmes antiques » et « Poèmes barbares ».
- José-Maria de Heredia : connu pour son recueil « Les Trophées », une œuvre magistrale de sonnets.
- Sully Prudhomme : premier prix Nobel de littérature, combinant rigueur parnassienne et réflexion philosophique.
- Catulle Mendès et François Coppée : figures influentes qui contribuèrent à populariser les idéaux du Parnasse.
L’influence de Charles Baudelaire sur le mouvement parnassien
Baudelaire partage avec les parnassiens une obsession pour l’art comme but en soi : l’art pour l’art. Cette idée, popularisée par Théophile Gautier, est reprise par les poètes parnassiens, qui se concentrent sur la forme et la beauté pure. Dans son poème « L’Albatros », par exemple, Baudelaire incarne des caractéristiques du mouvement parnassien, notamment par sa quête d’un idéal détaché des émotions triviales.
Bien que Baudelaire ne soit pas directement affilié au mouvement parnassien, il joue un rôle clé dans son émergence en tant qu’influence poétique et figure de transition entre le romantisme et le symbolisme.
Héritage et critiques du mouvement
Si le mouvement parnassien fut critiqué pour son absence d’émotion, il laissa une empreinte indélébile sur la poésie française. Des mouvements comme le symbolisme, porté par des figures comme Stéphane Mallarmé et Paul Verlaine, s’en inspirèrent en cherchant à conjuguer la rigueur formelle avec des explorations plus mystiques.
La beauté pour seule finalité
Les parnassiens ont offert une vision radicale de la poésie. Leur idéal d’un art détaché du monde, tourné uniquement vers la perfection, nous invite à reconsidérer notre rapport à la création. Dans un monde en quête de rapidité et d’émotions brutes, le mouvement parnassien nous rappelle que la beauté véritable, ciselée et pure, mérite le temps et le silence. À travers leurs œuvres, les parnassiens ont immortalisé cette idée : le beau est une fin en soi, et dans cette quête réside une part d’éternité.
Ce rappel de l’idéal esthétique propre au mouvement parnassien nous permet de mieux comprendre pourquoi il a marqué l’histoire littéraire. Bien qu’il ait parfois été critiqué pour sa froideur, il reste un témoignage unique d’une poésie travaillée avec la précision d’un sculpteur, où chaque mot, chaque rime, était un défi lancé à l’éphémère.
Vous l’avez compris, le mouvement parnassien fut bien plus qu’une simple réaction au romantisme. Il a incarné une philosophie artistique qui continue de résonner dans notre époque.
