C’est aux marais, à ces eaux stagnantes, à ces eaux saturées et boueuses que je dédie ces quelques lignes. Une ode à cette terre limoneuse souvent décrite comme inhospitalière et pourtant, je n’ai rarement vu de terres aussi foisonnantes de vie. Considéré comme un lieu de décomposition et de perdition, le marais est fortement lié à la Terre-Mère, à la mort et à la renaissance. Une union entre la terre et l’eau, un lieu où tout se transforme, où tout n’est que transition et évolution constante. Le marais et ses eaux insondables et silencieuses, le marais creuset de mon intangible imagination.
Des fiévreuses efflorescences
Malgré la platitude des paysages, le marais offre à celle et celui qui souhaitent entrevoir, un décor aux dimensions insoupçonnées. Ces eaux peu profondes d’essence féminine, nous connectent à la substance boueuse de notre être, à notre état primordial d’où émerge la matière.
Cette rencontre avec le marais s’est révélée être pour moi une véritable initiation spirituelle, car il m’entraîne dans les profondeurs de mon inconscient à la rencontre de moi-même.
Dans la mythologie, il est dit qu’il est dangereux d’errer dans les marais car c’est un lieu de désolation, hors du temps, un lieu peuplé de créatures et d’esprits malfaisants. Longtemps ces eaux mortifères ont conféré à ces terres humides la réputation d’être malveillantes.
Et pourtant, j’ai vu peu de terres où la vie est aussi abondantes, où le cycle de la vie, mort, vie est aussi visible, où la poétique de l’eau est aussi happante. Car il est vrai que le marais est envoutant par ses eaux inconsolables, que sa végétation ligneuse est enlaçante, que ses fleurs étendues et ruisselantes sur l’eau telle la chevelure d’une Ophélie sont ensorcelantes. Miroir d’une passivité sauvage, le marais tel une projection de l’être rêvant, s’empare du flâneur dans son entièreté.
De ces eaux calmes et marécageuses émanent des traits presque maternants, d’une douceur lente et tranquille. Parsemées de délicates et fiévreuses efflorescences, les fleurs des marais offrent quant à elles, une poétique tout aussi tendre que puissante. Troublante par leur caractère si juvénile, ces fleurs arborescentes ont pourtant été longtemps stigmatisées et mal-aimées, considérées comme de véritables pestiférées.
Ce sont elles pourtant si attachantes et captivantes que je ne cesse de photographier. Est-ce cette combinaison de deux éléments de la terre et de l’eau, de cette double poétique de ces eaux composées qui m’envoûte tant ?
Le marais figure Ophélisante
Je ne peux m’empêcher de songer à cette héroïne mythique au destin funeste qui incarne la jeunesse, la beauté et la mort lorsque je regarde ces beautés endormies. Tout comme Ophélie, ces créatures sont nées pour mourir dans l’eau. Représentée souvent flottante entourée de fleurs, elle est telle ces fleurs, suspendue éternellement. C’est dans ces eaux sombres et stagnantes, dans ces eaux organiques qui s’étiolent, qu’Ophélie se confond avec l’eau mourante. Est-ce pour cela que l’eau représente autant la quintessence mélancolique de cet élément ?
Quoi qu’il en soit, ma rêverie de l’eau dans ces marais est douce et songeuse. Elle est à l’image même de ces fleurs délicates qui s’étendent tentaculaires à la surface et dont on devine les racines vigoureuses et profondes.